PRÊT-À-PORTER
PRINTEMPS-ÉTÉ 2026
DANCER IN THE DARK
J’ai récemment lu que, tandis que la fréquentation des salles de cinéma a chuté ces dernières années, celle des musées a explosé. Cela m’a semblé tout à fait logique. Nos téléphones ne sont qu’un réservoir de sensations faciles, dont la durée de vie ne dépasse guère quelques heures.
PRÊT-À-PORTER
PRINTEMPS-ÉTÉ 2026
DANCER IN THE DARK
J’ai récemment lu que, tandis que la fréquentation des salles de cinéma a chuté ces dernières années, celle des musées a explosé. Cela m’a semblé tout à fait logique. Nos téléphones ne sont qu’un réservoir de sensations faciles, dont la durée de vie ne dépasse guère quelques heures.
Mais est-ce vraiment ce que nous recherchons ? Il me semble que nous savons, intuitivement, qu’il y a une valeur urgente et essentielle à replacer notre présent dans le contexte d’un récit plus large. Peut-être que la soif d’aujourd’hui n’est pas tant d’être divertis que d’être inspirés. Le divertissement n’est pas seulement omniprésent — il est inévitable. Mais l’inspiration — la véritable inspiration — paraît précieuse et rare.
C’est pourquoi j’ai sauté sur l’occasion de présenter cette collection au Centre Pompidou, particulièrement dans la même galerie qui avait accueilli la rétrospective de Brancusi seulement dix-huit mois auparavant. Non pas parce que je voulais que cette collection mette explicitement en avant le rapport entre l’art et la mode, mais parce que je crois — et continue de croire — qu’assister à un défilé Schiaparelli doit avoir la même intensité que visiter un musée : une expérience à la fois inspirante, ambitieuse et rassurante. Elle doit réveiller cette sensation de danser seul chez soi après le travail. Elle doit donner l’impression de danser dans le noir — aussi libératrice, aussi intime, aussi joyeuse.
Le prêt-à-porter Schiaparelli a toujours existé à la croisée entre succès commercial et laboratoire créatif. Elsa n’était pas une architecte de silhouettes nouvelles — ce n’était pas son intention. Elle n’était pas non plus un génie du marketing. Elle était, en revanche, un génie dans sa manière d’entrer en résonance avec la culture. Elle était, comme Yves Saint Laurent l’a dit d’elle, « une comète illuminant le ciel nocturne de Paris, résolue à dominer ».
Dans cette collection, vous retrouverez son goût de la tension, des frictions inattendues. On le voit dans la veste Schiaparelli : sobre, nette, aux épaules franches, sans fioritures grandiloquentes, c’est une célébration de la discipline elle-même, avec sa silhouette maîtrisée (ou tailleur rigueur, comme on dit à l’atelier). Ce « hard chic » se poursuit dans une série de longues robes colonnes, élancées et minimalistes. Bien qu’elles déploient une mosaïque de techniques, elles se rejoignent dans une palette concentrée de noir, de blanc ivoire et de rouge carmin. Et au cœur de cette collection, le trompe-l’œil en maille, issu de mes dessins des derniers mois et interprété en jacquards tricolores — un hommage aux tricots d’Elsa. Shocking hier, shocking aujourd’hui encore.
Les accessoires sont eux aussi conçus pour rappeler, surprendre et séduire : des souliers aux nouvelles variations du Secret, notre sac à cadenas, ici décliné dans des volumes assouplis évoquant l’horloge molle et fondante de Dalí. Chaque soulier, chaque sac commence par un dessin — et je crois que cela se ressent dans les pièces finales.
Après mon premier défilé de prêt-à-porter, on me disait souvent : « C’est du prêt-à-porter ? J’ai cru que c’était de la couture ! » Longtemps, je n’ai pas su quoi penser de cette remarque, qui sonnait presque comme une critique, comme si concevoir un prêt-à-porter aspirant à être aussi extraordinaire, aussi réfléchi que la couture était en réalité un défaut. Mais six ans après le début de ce chapitre chez Schiaparelli, ce qui paraissait une faiblesse me semble aujourd’hui être une force. Qui ne voudrait pas prendre part à un fantasme rendu accessible au quotidien ? Pourquoi la mode — même celle de tous les jours — ne pourrait-elle pas être de l’art ?
Le monde d’aujourd’hui peut sembler implacable, comme un trou noir culturel. Tout ce que les créateurs peuvent faire, c’est s’accrocher à ce qui leur paraît juste — à ce qui nous paraît juste. Tout ce que nous pouvons faire, c’est suivre le rythme des cœurs de nos clientes. Tout ce que nous pouvons faire, c’est créer des vêtements qui donnent à celles et ceux qui les portent la liberté et l’extase que nous voulons ressentir nous-mêmes — le temps d’un bref instant sur scène, sans honte, en dansant dans le noir;
Daniel Roseberry